L'Intelligence Artificielle : votre nouveau médecin traitant ?   Chère amie, cher ami, L'Intelligence Artificielle est déjà partout : Dans le GPS de votre voiture, Dans les algorithmes qui pilotent les réseaux sociaux sur votre téléphone, Dans les drones qui tuent hommes, femmes et enfants, que ce soit en Ukraine ou au Moyen Orient. L'IA est aussi présente dans les hôpitaux, et de plus en plus. Les services ayant recours à des imageries médicales, ceux de radiologie notamment, utilisent de manière routinière des logiciels d'analyse pour identifier des anomalies qui échapperaient à l'œil même le plus expert. Vous pouvez en voir quelques exemples à l'hôpital du Havre, à Nancy ou à Genève. Mais plus proche de vous, au quotidien, l'Intelligence Artificielle est-elle déjà présente chez votre médecin ? Et surtout, vous, en tant que patient, puisque vous pouvez aujourd'hui utiliser gratuitement de nombreux programmes d'Intelligence Artificielle (Chat GPT, Bard, Claude, Gemini, etc.) pouvez-vous / devriez-vous vous en servir pour vous soigner ? Les médecins vont-ils bientôt disparaître, remplacés par un écran d'ordinateur ? Que sait-on vraiment à ce jour ? L'IA meilleure que les médecins... selon une étude américaine Plusieurs études ont établi que les diagnostics et les recommandations produites par une IA sont de meilleure qualité, en moyenne, que celles établies par un docteur. Par exemple, dans une étude publiée en Juin 2023 dans le JAMA1, le Journal of the American Medical Association, un panel de médecins a évalué les réponses données par un docteur et celles produites par une IA à 195 questions écrites posées par des patients. Dans 78,6 % des cas, le panel a estimé que la réponse de la machine était de meilleure qualité que celle de l'humain.     De même, des chercheurs ont déjà fait passer, aux Etats-Unis et dans d'autres pays, les examens de médecine à différents modèles d'Intelligence Artificielle. Les notes obtenues par la machine sont toujours excellentes, et même supérieures à la moyenne des candidats humains2. Mais les situations dont nous parlons dans ces études NE SONT PAS celles d'une consultation normale. La situation évaluée est toujours LA RÉPONSE ÉCRITE à UNE QUESTION ÉCRITE ou à une description de cas ÉCRITE, sans CONTACT DIRECT avec le patient, sans aucun élément de contexte sur sa personnalité, sa pathologie, ou son histoire. Est-il surprenant que, dans cette situation particulièrement favorable à la machine, elle fasse mieux qu'un docteur ? Une vitesse d'analyse bien plus rapide que celle du cerveau humain Les microprocesseurs de notre époque sont capables de consulter une masse d'informations bien plus grande que notre capacité neuronale ou mémorielle, et à une vitesse bien supérieure au cerveau humain. La conclusion que nous devrions en tirer est que notre système d'enseignement de la médecine, encore très largement basé sur l'accumulation de connaissances, est complètement obsolète. Il ne sert plus à rien de former des médecins à devenir des puits de science. Des outils modernes tels que l'IA mettent à la portée des médecins toutes les connaissances scientifiques accumulées depuis des siècles. Nos médecins en sauront toujours moins que l'IA. Et ce sera d'autant plus vrai quand chaque individu aura son dossier médical complet, informatisé avec la totalité des examens, des radios, des analyses sanguines auxquels il a été soumis. L'IA sera infiniment plus efficace qu'un médecin pour analyser ces données et les mettre en relation avec des millions d'autres cas comparables. Cette perspective vous fait peur ? Je comprends qu'elle heurte votre sens de l'intimité et de la confidentialité. Mais si cette approche permet de dépister un cancer avant qu'il ne devienne dangereux, y renoncerez-vous3 ? Le bon médecin parle, observe, écoute.. mais pas l'IA (enfin, pas encore...) Revenons à notre bon vieux médecin de famille. En le mettant en compétition avec l'IA, les études négligent complètement la rencontre, la discussion, tout le non verbal. Sans parler de tout ce que ce médecin sait de nous, voire de notre famille, depuis des années. Sa capacité à comprendre que quelque chose cloche, même si nous ne sommes pas capables de l'exprimer clairement. Son aptitude à nous demander des éclaircissements , à reconnaître quand nous n'utilisons pas le bon terme pour décrire un symptôme, ou quand nous hésitons dans nos réponses. Hélas, me direz-vous, dans de nombreux cas et étant donné leur surcharge de travail, certains médecins ne font plus cet effort d'écouter, de dialoguer, de prendre le temps d'observer. Je le déplore comme vous, et je vous assure qu'eux-mêmes en souffrent.     On sait très bien que la qualité de l'interaction entre un docteur et un patient est un élément clé pour la qualité de la prise en charge. Cette dimension du soin peut se défendre d'un point de vue philosophique4, mais est aussi validée scientifiquement5. Ce n'est pas pour rien que les docteurs eux-mêmes réclament d'avoir plus de temps pour interagir avec leurs patients , au lieu de faire du travail administratif. Si on ajoutait ce paramètre, l'interaction entre médecin et patient, l'IA serait-elle toujours meilleure qu'un humain ? Personnellement j'en doute, à condition bien sûr que votre médecin ne se comporte pas comme une machine ! Un programme informatique peut-il être empathique ? Plusieurs études6 ont aussi évalué leur caractère empathique de l'IA dans ses réponses. A savoir : L'aptitude à s'exprimer avec considération envers le patient, La faculté d'expliquer les choses clairement, sans utiliser trop de termes scientifiques, Ou simplement la capacité de mettre les formes de politesse. Mais là encore, les études jugent des ÉCRITS. Pour l'IA, le temps n'existe pas en quelque sorte, vu la vitesse à laquelle elle travaille. La machine prend davantage la peine de rédiger un diagnostic et une recommandation thérapeutique claire, argumentée, compréhensible, en ajoutant des paroles réconfortantes. Les médecins ne font pas toujours cet effort, très souvent parce qu'ils n'en ont pas le temps. Certains, c'est vrai, manquent d'empathie. C'est un aspect de la profession trop souvent laissé de côté pendant leurs années de formation. C'est justement tout l'intérêt pour les médecins de se faire aider par l'Intelligence Artificielle. Ils peuvent ainsi non seulement affiner leur diagnostic, mais aussi mieux l'exprimer, de façon plus compréhensible par le patient, notamment lorsqu'ils doivent l'expliquer par écrit. Des outils d'Intelligence Artificielle destinés à la formulation de compte-rendus de rendez-vous ou d'ordonnances existent d'ailleurs déjà pour assister les médecins. Mais encore faut-il qu'ils sachent s'en servir ! Les médecins ne savent pas (encore) utiliser l'Intelligence Artificielle C'est le résultat le plus inquiétant à ce jour. Une étude récente montre que les médecins utilisant l'IA ne sont pas plus performants que ceux ne l'utilisant pas7. Dans cette étude réalisée à l'université de Stanford en 2023, 50 médecins ont dû traiter 6 cas différents. Dans certains cas, ils pouvaient utiliser l'Intelligence Artificielle, et dans d'autres pas. Non seulement les résultats de l'IA ont été dans l'ensemble à nouveau meilleurs que ceux des médecins, mais les résultats de ceux-ci ont été MOINS bons lorsqu'ils ont pu utiliser l'IA. La conclusion de cette étude est claire : la plupart des médecins ne semblent pas encore capables d'utiliser efficacement cet outil. Voilà pourquoi la formation médicale devrait intégrer l'apprentissage de l'usage des IA pour : Poser de meilleurs diagnostics ; Proposer une meilleure prise en charge thérapeutique (en prenant appui sur les millions de cas avec lesquels l'IA peut immédiatement comparer un cas précis) ; Mieux communiquer les résultats au patient. Ceci permettrait aux médecins d'être plus précis et performants dans leur travail, mais aussi de dégager du temps pour améliorer la relation avec le patient. C'est justement ce temps précieux qui manque tant au médecin et dont la machine ne peut, de toute façon, rien faire. Puis-je utiliser l'Intelligence Artificielle moi-même pour me soigner ? On peut se demander si on a intérêt à utiliser soi-même ChatGPT par exemple pour ses problèmes de santé. Vous utilisez déjà internet pour chercher des renseignements ou pour mieux comprendre une maladie dont vous souffrez ? (soyons honnêtes nous le faisons déjà tous) Alors oui, l'IA est déjà capable de donner des réponses de grande qualité scientifique, et souvent de manière synthétique et lisible. Mais NON, pas plus que vous ne devriez le faire avec Google, vous ne devriez pas utiliser l'IA pour lui demander un diagnostic, ou pour lui demander un traitement. Pourquoi ? Parce que l'IA est incapable de critiquer, d'affiner la demande que vous lui faites, au contraire d'un médecin. Elle réagit directement aux termes que vous utilisez, même quand ces termes sont peut-être imprécis ou inexacts, en tout cas différents de leur acceptation scientifique. Parce que l'IA ne peut rien faire de toutes les informations non écrites que vous portez en vous quand vous écrivez votre requête : votre histoire personnelle, votre langage corporel, votre regard, vos inquiétudes et vos espoirs. Soyons très clairs : aucune étude n'a été faite démontrant que des patients pratiquant l'autodiagnostic et l'automédication par l'intermédiaire d'une IA ont de meilleurs résultats que des patients rendant visite à leur médecin. Encore heureux ! Une telle étude est en fait impossible à organiser : elle serait contraire au principe éthique selon lequel on ne peut pas sciemment priver un patient test d'une opportunité de soins avérée dans le cadre d'une étude (en l'occurrence, le contact avec un médecin). La valeur d'une rencontre personnalisée Est-ce dommage ? Je ne le pense pas. La valeur ajoutée de l'IA est de faire appel à toute la connaissance scientifique accumulée sur les réseaux. Mais sa grande faiblesse est d'apporter la même réponse à la même question, quel que soit celui qui la pose. Vous ou moi, à Strasbourg ou à Biarritz, jeune ou vieux, dans le centre de la Creuse ou au cœur de Paris, nous obtiendrions la même réponse si nous posions la même question à ChatGPT. La force d'un médecin est de répondre à un cas précis, en prenant en compte qui il est, et pourquoi il est venu le voir à ce moment précis. Si les médecins apprennent en plus à se servir de ces nouveaux outils, ils n'en seront que plus intelligents et plus performants. Et ils pourront encore mieux nous traiter comme un patient unique ! Prenez soin de vous, Léopold Boileau Votre correspondant