dimanche 1 décembre 2024
Tribune du Général ANTOINE MARTINEZ
( 2 ème S. )
Troisième guerre mondiale ou baroud d'honneur avant la mort du cygne ?
Après 1000 jours d'un conflit direct entre la Russie et l'Ukraine et alors que l'armée
ukrainienne, malgré une résistance obstinée mais saignée à mort, bat en retraite et
éprouve d'énormes difficultés à recruter des soldats, chacun doit comprendre que cette
guerre entre dans une phase délicate et hautement dangereuse pour la paix en Europe.
Les tirs de missiles sol/sol américains ATACMS et de missiles de croisière Storm Shadow
britanniques sur le sol de la Russie changent indéniablement la nature du conflit en raison
de la volonté affichée de frapper le territoire russe rendue possible après l'autorisation
donnée d'utiliser ces armements de portée moyenne et dont la mise en œuvre nécessite
l'implication et l'aide de ceux qui les fournissent. Tester les intentions du président russe,
alors que l'armée ukrainienne est en sérieuse difficulté ou chercher ouvertement à le
provoquer en n'hésitant pas à attiser les tensions pour le pousser à la faute comme en
février 2022, la question est posée. Cela dit, la réponse de la Russie à ces frappes sur son
territoire ne s'est pas fait attendre avec le tir d'un missile balistique mirvé (missile équipé
d'une tête dotée de plusieurs ogives, chacune visant une cible différente). Pouvant être
armé d'une tête nucléaire mais équipé pour la circonstance de charges conventionnelles,
le missile a frappé un complexe militaro-industriel important, l'usine d'Etat Pivdenmash (ou
Yuzhmash) versée dans l'industrie militaire et spatiale. Le fait qu'un tel missile ait été tiré
pour traiter une cible opérationnelle est inédit. Il s'agit, en effet, de la toute première
utilisation en combat d'un armement conçu pour la dissuasion nucléaire depuis la Guerre
froide. Cela constitue, à l'évidence, une réponse et un avertissement sérieux adressés à
chacun des membres de l'OTAN.
La situation est périlleuse et l'aggravation des tensions – pour le dire clairement – entre
d'une part, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, pourvoyeurs de ces armements
(ATACMS, Storm Shadow et Scalp) et d'autre part la Russie, ne se produit pas à n'importe
quel moment. En effet, la décision de frapper le territoire russe est appliquée dans la
phase transitoire et délicate comprise entre l'élection présidentielle américaine et la prise
de fonctions effective du nouveau président élu. Il faut rappeler que le président Joe Biden
avait jusqu'ici refusé de donner à l'Ukraine l'autorisation d'utiliser ces armes. À deux mois
du changement de présidence aux Etats-Unis et alors que l'armée ukrainienne est dans
une situation très compliquée, les va-t-en-guerre sont donc prêts à déclencher
l'irréparable. Leur décision est révélatrice de la fébrilité qui s'installe au sein des membres
de l'Alliance atlantique à la perspective de voir bientôt les Etats-Unis dirigés par Donald
Trump dont chacun connaît la position sur ce conflit et sur l'OTAN.
Devant une telle évolution de la situation qui devient alarmante et potentiellement
dramatique quant à son issue, alimentée de plus par les médias sur la base d'un narratif
arrêté le 24 février 2022, des questions se posent sur la réalité, sur les manœuvres de
manipulation/désinformation et sur les sérieuses zones d'ombre entourant ces derniers
événements.
Car qui est réellement à l'origine de la décision d'autoriser l'Ukraine à frapper la Russie
avec ces armements, décision jusqu'à récemment refusée par le président américain, Joe
Biden ? Comment comprendre que ce dernier prenne une telle décision qui engage les
Etats-Unis deux mois avant de quitter le pouvoir ? L'information sur cette décision a, en
fait, été publiée dans le New York Times se référant à des propos émis par « des
officiels ». Il n'est mentionné nulle part que cette décision a été prise par le président luimême. Même le porte-parole du Département d'État, répondant aux questions des
journalistes, n'a pas été en mesure d'apporter la moindre confirmation que le président
avait pris cette décision. En réalité, ce dernier ne dirige plus rien depuis son éviction
forcée de la campagne présidentielle, il y a six mois. En revanche, il est très vraisemblable
que les néocons, des agences de renseignement comme la CIA ou des officines occultes,
des agrégats composant ce qu'on nomme communément l'État profond, totalement
hostiles à Donald Trump, soient à l'origine de l'article publié par le New York Times. C'est
dans ce contexte que les faucons et le président ukrainien ont déclenché rapidement ces
frappes sur le territoire de la Russie avant même que l'information du New York Times –
qui méritait, en raison de sa teneur, d'être authentifiée – puisse être démentie, imposant
ainsi le fait accompli. Il s'agit donc d'une nouvelle escalade funeste qui traduit l'affirmation
d'une volonté jusqu'auboutiste devenue pathologique chez certains et qui pourrait
conduire à une situation dorénavant incontrôlable. Alors, gesticulation militaire ou marche
résolue vers le désastre ? Troisième guerre mondiale ou baroud d'honneur avant la mort
du cygne ? Dans cette guerre entre les Etats-Unis et la Russie par proxy interposé, il faut
que les dirigeants occidentaux et notamment les dirigeants français admettent des réalités
implacables qu'il serait suicidaire d'ignorer.
Tout d'abord, si la Russie a bien agressé l'Ukraine le 24 février 2022, personne ne peut
nier que tout a été fait pour que cela se produise. N'oublions pas l'extension de l'OTAN au
plus près de la Russie, la révolution de Maïdan préparée dès 2004/2005 avec la première
révolution de couleur et déclenchée en 2014 par les Etats-Unis (souvenons-nous Victoria
Nuland, « fuck EU »), la guerre civile engagée par les nouveaux dirigeants ukrainiens avec
le bombardement des populations russophones du Donbass (14000 morts), les accords
de Minsk (la France et l'Allemagne garantes par leur signature ont failli à leur devoir), enfin
les bombardements intensifs sur ce Donbass martyrisé pendant plusieurs jours, à partir du
16 février 2022 et qui devaient précéder une vaste opération de nettoyage « ethnique »,
stoppés par l'intervention de la Russie. C'est ainsi qu'un tiers environ de la totalité des
réfugiés ukrainiens se sont exilés par choix en Russie depuis 2014 jusqu'à aujourd'hui.
Quant à la perspective d'un arrêt des combats et surtout de l'engagement de négociations
pour signer la paix, on peut penser que le président russe reste à ce jour le maître des
horloges et qu'il est illusoire de croire que Donald Trump pourra, « en 24 heures », régler
le problème. Cela devrait prendre plusieurs mois et la paix sera, de plus, signée
vraisemblablement aux conditions de la Russie. On ne voit pas, en raison du lourd tribut
payé par les Russes et du fait que le président ukrainien a refusé, sur injonction des
anglo-saxons, de signer l'accord accepté quelques semaines après le début des
opérations, comment l'Ukraine pourrait sortir de ce conflit sans perdre une partie de son
territoire. C'est un gâchis impardonnable car cette guerre pouvait être évitée.
Ensuite, l'élection de Donald Trump, dans ce contexte d'une guerre localisée au départ
mais qui pourrait prendre une ampleur mondiale, constitue un moment majeur susceptible
de changer la donne. Les dirigeants occidentaux, en particulier les plus va-t-en-guerre et
les plus russophobes sont conscients du changement qui s'annonce sur l'évolution du
conflit en Ukraine et sur l'avenir de l'OTAN avec ce président. Ils savent également que
leur fenêtre d'action se réduit à mesure qu'on approche de l'investiture du président
américain, en janvier prochain, et n'hésitent pas à attiser les tensions et chercheront
probablement à intensifier les provocations. Les frappes récentes sur le territoire russe
sont une illustration de l'escalade engagée. Cela dit, l'emploi de ces armements ne
changera rien à l'évolution de la situation sur le terrain qui est défavorable à l'Ukraine. Ils
savent, de plus, que le futur président américain vient de s'entretenir avec le Secrétaire
général de l'OTAN, Mark Rutte, pour discuter de l'Ukraine. L'entrevue semble avoir tourné
court, d'autant plus que Richard Grenell, opposant farouche à l'admission de l'Ukraine à
l'OTAN, aurait été nommé au poste de négociateur. C'est donc une course contre la
montre qui est engagée par les bellicistes de tout bord, contrariés par le résultat de
l'élection présidentielle, qui veulent prolonger la guerre dans l'objectif, depuis le début,
d'affaiblir à tout prix la Russie. Ils semblent donc prêts à tout pour empêcher Donald
Trump de prendre ses fonctions, y compris une guerre généralisée. Cela pose d'ailleurs
clairement le problème de la sécurité du futur président américain qui a déjà échappé
récemment à deux tentatives d'assassinat.
Du côté de la Russie, la réponse aux frappes otaniennes sur son territoire a été immédiate
avec des moyens inédits que personne n'envisageait puisqu'il s'agit d'un nouveau missile
balistique, équipé de charges conventionnelles inconnues, qui a frappé un site
opérationnel important. Les frappes otaniennes ont bien été considérées comme un casus
belli par Vladimir Poutine et sa réponse constitue un avertissement très sérieux. D'autant
plus que cet épisode permet de dévoiler aux Etats-Unis et à l'OTAN que la Russie
dispose, avec cette nouvelle arme chirurgicale et imparable pouvant éviter les dégâts
collatéraux (infrastructures environnantes et populations civiles), d'un échelon
supplémentaire dans ses éventuelles réponses de représailles, tout en reculant le seuil de
l'emploi du nucléaire. Le cours de la guerre pourrait en être totalement changé. Tous les
pays de l'OTAN sont prévenus sur les conséquences de leur éventuelle cobelligérance. Il
serait parfaitement irresponsable de vouloir à nouveau tester la volonté russe de défendre
son sanctuaire.
Quant à la France, dans une situation politique inextricable après la dissolution ratée, les
déclarations du président de la République et du ministre des Affaires étrangères,
approuvant la décision américaine de frapper le territoire russe et évoquant la possibilité
d''envoi de troupes françaises en Ukraine, semblent participer d'une démarche de
communication désespérée pour occulter l'échec d'un pouvoir aujourd'hui aux abois. Nos
dirigeants sont-ils conscients ou inconscients de ce que signifie le statut de cobelligérant
dans cette fuite en avant ou tentent-ils à nouveau, comme pour le covid, de gérer le pays
par la peur ? En tout cas, en agissant ainsi, ils promeuvent la France au rang de cible
privilégiée pour la Russie. Ce n'est pas ainsi qu'on protège les Français et les intérêts
supérieurs du pays. Cela dit, le président de la République ne pourra pas décider seul
d'un éventuel envoi de troupes en Ukraine. Il ne s'agit pas ici d'une opération extérieure
comme celles que nous avons menées en Afrique mais d'une guerre de haute intensité à
laquelle nous ne sommes pas préparés et dont nous n'avons pas les moyens. En outre,
avec une situation intérieure agitée, la perspective d'un possible renversement du
gouvernement entraînerait une nouvelle phase d'immobilisme politique pendant plusieurs
semaines, voire plusieurs mois et pourrait même conduire, devant le blocage des
institutions, à la démission forcée du président. Par ailleurs, dans ces moments graves la
parole martiale n'est pas de mise car, si par la suite elle n'est pas tenue, elle n'est plus
crédible. Et nos dirigeants savent pertinemment que la prise de fonction du nouveau
président américain, le 20 janvier prochain, marquera le début d'un changement dans le
soutien des Etats-Unis à l'Ukraine. Nos partenaires européens, quant à eux, sont hostiles
aux frappes sur le territoire russe et sur le déploiement de troupes. Alors nos dirigeants
sont-ils prêts à isoler la France en première ligne dans une guerre qui n'est pas la nôtre ?
Il serait donc temps, avec un million de morts et de blessés, de cesser de jouer avec le feu
et d'arrêter le massacre avec une guerre qui aurait pu et qui aurait dû être évitée. Persister
à soutenir cette folie meurtrière ne serait pas digne d'une France dont la vocation doit
rester celle d'une puissance d'équilibre et de paix. Notre pays avait pourtant l'opportunité
de marquer l'Histoire au premier semestre 2022 (présidence de l'UE), en réalisant cette
vocation par l'organisation d'une conférence internationale pour la paix, plutôt que de
suivre aveuglément une Alliance éloignée de nos propres intérêts. La France en serait
sortie grandie. Il est urgent à présent que la raison reprenne enfin ses droits.
Le 27 novembre 2024 Général (2s) Antoine MARTINEZ
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