samedi 1 février 2025

« Un pâle reflet de l’humanité », c’est par cette expression un peu désuète – mais qui conserve malgré tout une belle intégrité poétique – que le Vatican a désigné cette semaine l’Intelligence Artificielle, dans un document exceptionnel intitulé Antiqua et Nova (pour « sagesse ancienne et nouvelle »), une synthèse issue des dicastères pour la doctrine de la foi. Ce n’est pas la première fois que le Saint-Siège s’exprime sur le sujet, puisque Jean-Paul II avait évoqué les progrès de l’informatique en 1990, estimant déjà que les technologies de communication pouvaient « provoquer des réactions en chaîne aux conséquences imprévisibles ». En effet depuis le XVIIe siècle, les avancées scientifiques puis le mariage du profit et de la raison ont produit un effet d’entonnoir particulièrement redoutable, qui rétrécit peu à peu la sémantique de l’appropriation du monde pour ôter à l’homme toute idée de providence et ne laisser à voir du réel qu’un champ de ruines « phénoménalisées ». « C’est à partir du moment où l’on a inventé les microscopes que les bacilles se sont mis à grouiller » dira en substance Léon Bloy avec cet humour d’enclume qu’on lui connaît. Aujourd’hui, nos « savanturiers » (Boris Vian) et autres technomanciens de la Silicon Valley nous vendent une mystique fantoche qui voudraient supplanter celle de la providence : l’IA serait un nouveau pas de géant pour l’humanité, l’avènement d’une nouvelle conscience globale, collective, capable de se subroger au labeur des âmes. Peut-être. Sauf que ce bond de géant n’est en réalité que la phase finale d’une transformation du monde qui a commencé dès le XVIIe, et qui est l’avènement du probabilisme comme socle unique de la volonté humaine. L’homme prométhéen rêvé par Rousseau et répandu par les Jacobins, c’est bien le « maître des horloges » (lol), celui qui orchestre et manipule le hasard pour arriver à ses fins. Or les algorithmes géants (ces réseaux de neurones ou LLM – large language models - qui bâfrent quotidiennement des téraoctets d’informations pour les recracher sous forme de probabilités et nous donner l’illusion qu’elles créent, alors qu’elles ne font que deviner des suites de séquences, que rajouter des briques dans un métacorpus) ne sont pas autre chose que des balayeurs de chaos, de gigantesques athanors virtuels qui filtrent le réel et voudraient nous faire croire que la « création » n’est jamais qu’une affaire de « solutionnement ». Or la création, bien sûr, c’est à peu près l’inverse de résoudre un problème. La création, au contraire, c’est le problème. C’est une arête dans la gorge du biologique. Le probabilisme n’est qu’un déterminisme de plus, avalisé par la Capital qui adore de tout temps réduire la réalité – et le temps de travail – à des cartes perforées. Or si la création se joue de tout déterminisme, c’est bien grâce à ce que nous appelons, nous autres chrétiens, le libre arbitre, ce formidable espace-temps que nous a laissé Dieu en se faisant minuscule, en réduisant sa part de cosmos au plus infime pour donner à l’humanité les moyens de sa grandeur. Toutes ces petites opérations, interpolations et tous ces échanges binaires auxquels s’adonnent les IA pour produire un effet de réel, une « illusion générative » ne sont jamais que des notes de bas de page, des parodies séquentielles de l’œuvre humaine. Comme le rappelle très bien la note du Vatican : «L'IA ne doit pas être considérée comme une forme artificielle de l'intelligence humaine, mais comme un produit de celle-ci » ». Ainsi, donner à une IA plus de crédit qu’à un marteau, reviendrait à adorer un nouveau veau d’or – ce que nos GAFAM espèrent sans doute tant elles ont hâte que l’homme détourne ses yeux du ciel pour enliser son regard à jamais dans le marécage des écrans.

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